vendredi 22 mai 2009

Free banking

La qualité des articles de Pierre-Antoine Delhommais dans Le Monde n'a d'égale que la nullité crasse des commentaires de lecteurs qui, manifestement, lisent avec des verres déformants et étalent avec volupté leur ignorance.

Dans l'édition du 9 mai, le successeur d'Eric le Boucher à la rédaction économie du journal publie une chronique économique de très bonne facture sur le les banques centrales et le Free Banking, "Le martyre des banques centrales". Delhommais y rappelle la responsabilité lourde des banquiers centraux dans l'inflation de crédits qui a entrainé la crise actuelle. La mise au point est utile en France où grand public comme commentateurs semblent voir l'épiphénomène (l'inflation des prêts accordés par les banquiers) et non la cause (le laxisme monétaire des banques centrales). Delhommais écrit ainsi : "Alan Greenspan, dieu monétaire déchu, qui devra s'expliquer sur sa politique de taux très bas et d'argent quasiment gratuit ayant conduit à cette débauche mortelle de crédits."

Le discours est plaisant à entendre pour un libéral, même s'il fait l'impasse sur les défaillances du marché (système de bonus inadapté ou trop grande lâcheté dans le respect des critères de solvabilité des emprunteurs). D'autant plus que l'auteur mentionne avec une certaine sympathie les théories du Free Banking. Le chroniqueur reste bien léger sur la possibilité d'une mise en place pratique d'un tel système actuellement mais une mise en place est-elle vraiment envisageable? Dans une perspective d'utopie hayékienne, cela reste malgré tout intéressant.

Deux morceaux choisis des réactions pour finir :
Les banquiers veulent s'enrichir et peuvent prendre des risques supportés par les états. Après tout, dans un système libéral, l'enrichissement et la cupidité ne sont pas sanctionnables. Le sachant, les BCE auraient dû surveiller leurs banques, tout commes les administrations surveillent sévèrement les compagnies aériennes, leurs avions et leurs équipages. Nos gouvernements qui n'ont pas voulu déplaire aux banques en les surveillant ont commis la plus lourde erreur.

Moi qui croyait que la finance était l'un des secteurs les plus réglementés, avec plus de 12.000 personnes payés à cela aux États-Unis... Je me reposerai sur cet article (très discutable sur l'éloge systématique de la finance au demeurant) : Lire la crise actuelle comme le symbole des ravages du libéralisme sauvage n'est ni pertinent ni utile. C'est plutôt sur l'échec des régulateurs à créer des infrastructures adaptées à l'innovation financière qu'il faut s'interroger. [..] Par exemple, dans les établissements financiers, il faudrait que la fonction de contrôle des risques ne reporte pas à la direction générale, mais directement au conseil d'administration, et la doter de pouvoirs d'investigation pour faire remonter l'information. C'est de ce genre de mesure technique qu'on peut attendre un progrès tangible de la technologie de gouvernance des organismes financiers.

Autre extrait :
"la crise des subprimes risque bien d'apparaître, le jour du verdict, comme la conséquence du grand fiasco des politiques monétaires." Vous arrivez bien tard Jeune Homme...pour dire cela après avoir défendu longtemps et ardemment ce que maintenant vous portez au bûcher...-)))
S'il y en a un qui a condamné la politique monétaire restrictive de la BCE, ce n'est pas Delhommais mais... Sarkozy.

samedi 9 mai 2009

Wikipédia bashing

Tout est bon à certains pour du Wikipédia bashing. Le dernier exemple de la falsification de la page de Maurice Jarre l'illustre bien.

Revenons tout d'abord sur l'histoire; Shane Fitzgerald, étudiant en sociologie et en économie à University College Dublin, se livre à une petite expérience sur l'utilisation par les journalistes de Wikipédia. Il profite de la mort de Maurice Jarre, le compositeur de musiques de film, pour insérer une fausse citation de l'intéressé sur la page. Il insère les lignes suivantes :
One could say my life itself has been one long soundtrack. Music was my life, music brought me to life, and music is how I will be remembered long after I leave this life. When I die there will be a final waltz playing in my head and that only I can hear.

Aucune source invoquée, aucune référence, rien. Et il attend. Attend de voir qui va reprendre ces lignes complètement inventées. Le résultat sera à la hauteur de ses attentes : de très nombreux journaux de premier plan reprennent sa "citation" sans la moindre vérification : The Guardian, The Independent, The Daily Mail, la BBC et d'autres journaux de premier plan à travers le monde, en Australie et ailleurs. Shane Fitzgerald en tire une conclusion, les journalistes ne vérifient pas leurs sources, les anti-Wikipédia une autre, Wikipédia a un effet néfaste.

Cependant, les faits sont loin d'être aussi simples. Tout d'abord, concernant l'ajout initial de la citation, l'auteur du canular passe rapidement sur les difficultés qu'il a rencontré pour insérer la citation : une étude plus détaillée montre ainsi qu'il ajoute sa citation une première fois le 30 mars à 2:29 du matin. Malgré l'heure, un contributeur rajoute deux minutes plus tard, à 2:31, une demande de références : "This section needs additional citations for verification". A 11:51, la citation est entièrement retirée par un autre participant. Dès lors, à 14:13, l'auteur du canular frappe encore en la réintroduisant. Le lendemain à 15:07, elle est à nouveau retirée, au motif de l'absence de sources. L'auteur du canular, à 17:03, revient à la charge. La citation reste en ligne six minutes. Ce fut la dernière tentative. Autrement dit, la citation a été systématiquement retirée, avant même que l'affaire soit connue dans les médias, restant au maximum 24 heures en ligne. Voilà pour la facilité à insérer une citation, qui pourtant semblait plausible, sans sources, sur Wikipédia. On remarquera en outre que le fâcheux n'en était pas à son premier vandalisme, agrémentant des articles d'ajouts aussi intelligents que "blessington is the coolesat town ever their soccer team is the best(u12)!!!!!!" et autres passages farfelus.

Même si l'on peut regretter que la réaction des participants à Wikipédia n'aie pas été plus rapide, elle a été globalement satisfaisante pour un système reposant sur la publication libre. Dans le même temps, on observera que les ajouts faits librement par des dizaines d'intervenants ont permis une amélioration sensible de la page, l'"effet vautour". Attaquer Wikipédia sur cette histoire, comme le fait évidemment Alithia, est plus la marque d'une haine obsessionnelle que d'une réflexion poussée. En passant, l'auteur du blog concernée nous montre bien qu'elle voit la paille sans regarder la poutre, comme en témoigne cette erreur factuelle dans son billet : "En effet dans ce cas, l'erreur, -qui n'est que factuelle-, relevant de la désinformation -en l'occurrence une fausse citation- et non de l'interprétation plus subtile, l'erreur donc n'a été relevée que parce que l'étudiant auteur du test de fiabilité a lui-même averti les journaux qui avaient fait confiance à wikipedia, de ce que la citation était fausse ". Pourtant, l'historique de l'article est visible par tous et, si elle avait fait un effort minimal, elle aurait réalisé qu'elle racontait n'importe quoi.

Si la critique de Wikipédia, dans cette histoire s'entend, n'est pas adaptée, qu'en est-il de celle des journalistes? La faute parait plus grave dans ce cas, à plus d'un titre. D'une part, aller chercher ses informations sur le premier site sorti de Google et les reprendre sans la moindre vérification est à l'opposé des principes élémentaires de la profession. On peut également s'étonner, avec un certain cynisme, de l'absence d'un éloge funèbre préécrit, qui aurait évité de devoir faire à chaud ces éloges brouillons... Le pire est probablement dans la façon dont l'événement est ensuite rapporté : l'Irish Times ne vérifie même pas ce que l'auteur de cette manipulation écrit et ne mentionne même pas le combat qu'il a du mener pour introduire sa citation sur Wikipédia. Le Point n'est même pas capable d'écrire correctement The Independent (a à la place du e...). En outre, on regretterait presque l'absence de journaux non anglophones dans la liste de ceux qui se sont laissé piéger, si on estime qu'elle montre qu'aller chercher des informations dans une langue étrangère n'est fait par personne...

Les journalistes contemporains ont cependant quelques excuses : d'une part, si l'affaire a pris une telle ampleur, c'est en partie en raison de la circulation plus rapide des informations grâce aux NTIC. Il y a fort à parier que la majorité des journalistes ne faisaient pas mieux il y a quelques dizaines d'années ou quelques siècles. Mais, seuls un ou deux auraient eu accès au même document et auraient pu être affectés... En outre, on imagine mal que le journaliste chargé dans un journal des éloges funèbres soit vraiment l'un des meilleurs.

Le constat n'en reste pas moins inquiétant sur la qualité de la presse et explique en bonne partie la présentation caricaturale faite du libéralisme en France (du libéralisme comme de tant d'autres choses). Le journaliste "de base" suit la vague, Wikipédia en étant un bon proxy d'ailleurs. Peu importe les faits qu'une recherche sérieuse permettrait de dégager...

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